Une rentrée pour prendre ses marques
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J’aime ce petit air de renouveau qui souffle sur la routine retrouvée à la rentrée. C’est frais et plein d’espoir, des bonnes résolutions plein les tiroirs pour « ne surtout pas se laisser déborder cette fois-ci hein ». Une sorte de premier janvier tiédi par le soleil qui s’attarde encore un peu sur septembre, une douce transition vers l’automne et les fêtes auxquelles on n’ose encore penser mais dont le parfum se fait déjà sentir. Elle fait un peu peur aussi cette rentrée, on se demande ce que les semaines qui se profilent gentiment à l’horizon nous réservent de surprises, bonnes comme moins bonnes.
Alors on lui sourit pour n’attirer que le meilleur, on lui fait cette petite place qu’elle quémande avec insistance de peur qu’elle ne finisse par s’imposer avec perte et fracas. On prépare son arrivée, tout doucement, on y pense alors que les jours nous séparant de ses trois coups frappés à notre porte deviennent de moins en moins nombreux. Et chaque année l’impression que celle-ci est plus spéciale que les autres. Pourtant, des années clés il y en a déjà eu. La rentrée du CP – la photo d’une R5 rouge, titine de son prénom, mon papa au volant et moi dans un siège auto à l’arrière toute fière avec mon nouveau cartable, quittant notre rue – de 6ième puis de 2nde, l’année du brevet et celle du bac, la rentrée à l’université, puis en deuxième année diamétralement opposée à la première et enfin, cette année ma rentrée en troisième année. Et comme chaque année mais peut-être un peu plus celle-ci je crois, j’ai peur, un peu. Au vertige de ne pas être à la hauteur s’ajoute l’appréhension de la douleur des autres à laquelle, je le sais, je serais confrontée. La curiosité et l’excitation d’en découvrir toujours davantage et de devenir toujours meilleure, comme on prendrait une baïonnette face à la forêt dense d’une île encore inexplorée par l’Homme, d’apprendre mille et une choses et d’en comprendre autant j’espère se mêle à la crainte de tous ces destins dont j’ignore tout encore et qui me seront confiés. Parce que je porte une blouse blanche.
C’est le tout tout début du chemin, nos balbutiements de médecins. Je frémis encore lorsque je reçois mon attestation d’assurance professionnelle et je trouve excitant de me parer de tenues de coton jetables aux couleurs improbables. Le café de la machine est aussi immonde que le dit sa réputation mais tradition oblige et cernes sous les yeux suppose, tous les matins dans l’ascenseur on monte vers nos services un gobelet à la main. Les stages rapprochent, rencontrent, sourient, rigolent mais serrent le cœur aussi parfois. Souvent. On découvre qu’à l’hôpital les gens sont malades avec une violence qui pulvérise la mince portée des mots. Savoir la maladie n’est pas la côtoyer, sous nos yeux la théorie prend une toute autre envergure. On s’aperçoit que l’on n’a pas besoin de connaître une personne pour compatir à sa douleur, si on s’en doutait, on en est désormais sûrs. On prend également conscience de la difficulté à trouver sa place dans l’intimité partagée avec le patient. On ne se sent pas encore bien à l’aise dans cette relation qui s’apprivoise. On est emprunté, un brin figé, nos mains tremblent parfois. S’asseoir sur le lit pour l’écouter ? Lui prendre la main ? Poser une main sur son épaule ? S’approcher de trop près c’est prendre le risque de voir s’effriter la façade qui nous permet en toute circonstance de garder une contenance. Ce mur n’est pas froideur ni même indifférence, c’est un rempart contre le tsunami. Car la fac ne nous a pas pris à l’entrée ce que l’on avait de sensibilité et d’humanité. Que se passe-t-il si le médecin se met à pleurer devant ses patients ? Si j’étais dans ce lit que penserais-je de mon sort si mon médecin se comportait de la sorte ? Un médecin n’est pas là pour pleurer mais pour soulager et tenter d’aider. En enfilant chaque matin sa blouse, on essaie de s’approprier cette nouvelle peau, celle du soignant et de laisser la nôtre au casier. Pour faire ce qui sera notre métier. On cherche donc ses marques à tâtons, trop loin, trop près, on essaye de se protéger tout en craignant de devenir un jour indifférent alors même que muselant cette crainte on se demande tout bas si une telle chose est possible.
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Août 29, 2013 @ 10:33:18
Non. Toi aussi tu avais une R5 rouge nommée Titine ?! Excellent !!
Août 30, 2013 @ 06:59:58
<3
Août 30, 2013 @ 04:41:42
Et bien figure toi, que pour une fois, je ne ferais pas ma rentree et je ne devrais plus en faire. Je pese les mots, je les pose noir sur blanc mais je ne suis pas tout a fait habituee. Le premier pas dans la cour des grands, et j’ai surtout l’impression de me tenir sur un pied avec l’autre hesitant pour passer le premier pas dans la cour des grands, doucement y poser le pied et ne pas se retourner. Parce que finalement, je n’etais pas si mal dans ma vie d’etudiante avec mes questions etudiantes, un peu puerile, avec toujours cette assurance qu’apres les vacances, je sais ce que j’allais faire, vu que j’allais retourner a l’ecole. La question finalement la plus recurrente etait ou surtout ces dernieres annees mais c’etait la seule question, la en plus d’etre ou c’est qu’est ce que je fais faire. Bientot un diplome en poche, un bac +55 et si je m’etais trompee ? Et si finalement, pediatre c’etait ma vocation ? Et si j’avais abandonne la L pour la S comme j’ai voulu le faire a un moment ? Que de « Et si » qui se pose maintenant une fois dans le grand monde, et pourtant je ne cesse de repeter « Quand je serais grande » :p
Août 30, 2013 @ 06:59:46
J’imagine que c’est une transition spéciale que celle-ci, passer d’étudiant à professionnel… Je te souhaite une entrée « dans la cour des grands » sereine et heureuse, sans trop de peur, sans trop de questions. Cela prend du temps de trouver sa place, je pense que l’on se retourne tous à un moment ou un autre sur nos choix passés en se disant « Et si ». Garde en tête que rien n’est jamais fixé pour toujours, que ces portes refermées un jour tu peux très bien les rouvrir si tu sens que là est ta voie… Peut-être en regardant tes choix d’un oeil moins définitif cela te confortera-t-il dans l’orientation que tu as choisie. Te verrais-tu vraiment faire des études scientifiques ? Reprendre les maths, la physique et toutes ces matières barbares ? J’avais exactement les mêmes doutes, « et si j’avais fait L plutôt que S ». La perspective de me replonger dans les affres des déclinaisons latines ont calmé mes doutes… Peut-être cela marchera-t-il également pour toi <3
Je te souhaite une belle "non" rentrée :-)