Millionnaire, une fois par semaine
Vous avez déjà eu cette conversation – et toi tu ferais quoi si tu gagnais à Euromillion ? Peut-être aidée dans sa course jusqu’à nous par la langueur qui nous enrobe tous entiers depuis l’été installé, c’est devant un cornet avec « beaucoup de glace au yaourt, un peu de sorbet au melon et un peu de celui à la mangue s’il vous plaît* » – samedi soir – que la question fait soudain irruption. Alors que l’on traverse la courte rue – encore indécis du chemin que prendra notre balade – nous voilà à essayer d’imaginer ce que changerait dans nos vies, tant d’argent si brusquement gagné. Balayant un peu rapidement – peut-être – la question des possessions, je le dis sans presqu’aucune hésitation que de tous les biens, le plus précieux que m’offrirai cet argent serait le Temps. Et qu’à dire vrai – moi seule aux commandes – pas grand chose ne changerai mais que chacune prendrai dans ma vie la juste place attribuée par mon envie réfrénée aujourd’hui par la réalité qui veut que la vie soit à gagner et l’art de ces « faux métiers » réduisant les diplômes au rang de simples bouts de papiers n’assurant nulle « sécurité ». Du temps – et ce n’est qu’une étape parmi toutes celles que je verrais bien habiter dans cette journée comme rêvée – pour chaque matin me lever tôt et commencer la journée assise en tailleur sur un coussin les yeux fermés face à fenêtres et volets ouverts au vent, concentrée sur les mouvements doux des épaules, de la poitrine, du ventre alors que j’inspire, expire et recommence, lentement. Du temps pour ensuite déjeuner ensemble, à l’intérieur par les temps froids, sur une terrasse abritée lorsqu’il fait chaud. Le temps de quelques minutes ensuite pour marcher, d’une heure de yoga ou de vingt minutes de course à pied : le temps de refaire corps avec le corps si longtemps négligé. Revenir enfin, et après l’eau chaude, peupler ce qu’il reste de temps jusqu’à la soirée de mots – écrits, lus, tus, entendus, soupirés, espérés – et de photos – prises, regardées, choisies, retouchées, envoyées. Du temps pour faire le marché et ne plus jamais être pressée de faire, dire ou être. Le temps d’être ici et maintenant. Le temps de cuisiner les deux pieds biens ancrés dans le sol face aux légumes à éplucher, à la cuisson à surveiller, le temps de placer chaque geste et mon corps pour ne pas le blesser dans la frénésie du « préparer ». Avoir le temps de mettre dans chaque plat l’amour que j’ai pour ceux qui le partageront avec moi et de savourer chaque étape jusque-là.
Sur les pelouses du champs de mars où nos pas nous ont conduits presqu’inconsciemment, un homme avec sa guitare de quelques notes de Cabrel nous décide à nous asseoir le temps d’un intermède dans l’air doux du soir. Sur le chemin du retour, on trouve la musique depuis les quais et les corps vus d’en haut qui se pressent dans la foule dansante lorsque les nôtres se laissent porter à leur tour, le chemin au bord de l’eau et l’amoureux qui tire ma main, me ramène en arrière pour cinq minutes les yeux rivés sur la tour Eiffel illuminée. Et puis dimanche matin se faufile entre les draps froissés, l’aube passée à mes pieds nus qui du lit jusqu’au salon où les volets sont ouverts – déjà – marchent sur les dessins des gardes corps parisiens imprimés de soleil sur le parquet. Alors, une journée rêvée, une fois par semaine, pourquoi pas ? Pourquoi pas l’aube du dimanche, la fenêtre ouverte sur la rue qui s’éveille de passants et des bruits du marché au loin aux étals déjà dressés, prêts à être dévalisés. Pourquoi pas marcher jusqu’à la boulangerie, après les mains jointes, les yeux fermés, l’équilibre, les poses maintenues, la respiration écoutée et entendue. Pourquoi pas, une fois par semaine, puisque de toute richesse la seule que je veuille vraiment, c’est le temps, ne pas vivre ma journée de millionnaire. Et pourquoi pas de cette apprentissage-là tirer pour chaque jour quelques pincées de sagesse qui devant l’envie de courir m’apprendraient à respirer, écouter, regarder, vivre plutôt qu’exister. De cette journée découvrir le temps – au quotidien – de glisser non pas tous mais quelques-uns de ces instants qui éveillent, consolent, rassurent et font grandir à l’intérieur. Réapprendre la patience, enjoindre la douceur, renoncer à la presse et ses dents serrées, à la colère comme à la course effrénée. J’avance sur ces chemins-là à petits pas et – si vous le voulez bien – je vous emmène pour les prochains mois avec moi. J’apprends à devenir une millionnaire sans argent mais avec beaucoup de temps.
Et vous, de quoi peupleriez-vous votre journée ?
* Les glaces amorino ont conquis coeur et papilles, rendues à l’évidence de ces délices auxquels il n’est nulle résistance à opposer, juste à s’en délecter. Leur dernier sorbet – melon – pourrait vous faire croire sans la texture qu’il s’agit d’un vrai fruit et si comme moi vous ne jurez que par lui à l’heure d’été, cela ressemble de près au bonheur cuisiné.
16 Laisser un commentaire - 16
Août 03, 2015 @ 20:17:48
Prendre le temps de profiter de la vie, de respirer, de se reposer, de s’aimer, de lire, de manger, de parler, de réfléchir, de rêver, de découvrir, de marcher, de recommencer.
Quand j’ai fait le choix d’un travail à temps partiel, je n’ai pas gagné d’argent c’est sûr, mais j’ai gagné une autre richesse bien plus précieuse <3
Bécot
Août 07, 2015 @ 12:10:22
Merci pour ton petit mot plein de sourires <3 Cette décision de travailler à temps partiel est quelque chose de très proche de ma manière de concevoir ma vie professionnelle et je crois que si j'en ai l'occasion plus tard, je m'offrirai ce cadeau-là de me donner du temps pour moi.
A bientôt !
Août 03, 2015 @ 22:28:24
Trouver le temps, se l’offrir, c’est un beau projet !
Août 07, 2015 @ 12:08:55
Oui ! Le plus beau des projets je crois puisqu’il supporte tous les autres <3
Août 04, 2015 @ 10:12:50
Quel joli article…
Oh, je m’y retrouve tant… tant… ♡
Ralentir & mieux savourer l’instant présent.
On le peut, toujours un peu plus, toujours un peu mieux.
S’ajuster, soi, au creux de notre corps, de notre cœur, pour encercler, bercer & chérir cet instant si fragile & puissant.
Moi aussi, je rêve de marché du dimanche, de vagabonder au hasard des rues (chose que je faisais, et ne fais plus depuis quelques mois).
Ton article, comme d’autres jolies choses, je le vois comme un des nombreux petits signes de la vie… que la Vie m’envoie comme une invitation à ralentir…
Peut-être que j’irai marcher cette après-midi.
Oui… Ca sera doux, dans un Paris d’été vide ♥
Août 07, 2015 @ 12:08:30
Oh merci Mélanie pour ce petit mot tout doux, il me touche beaucoup <3 Il me parle et fait écho à tout ce que j'essaye chaque jour de mettre au coeur. Alors, comment était cette balade ?
A bientôt !
Août 05, 2015 @ 14:01:26
Très bel article, c’est une belle idée , avoir du temps. :)
Avoir de l’argent pour réaliser des rêves hors portée de main jusqu’à présent. Pas de maison bling bling, pas de belle voiture, juste voyager et profiter des gens que j’aime. Avoir une bibliothèque / salon de thé ou ouvrir un refuge pour chevaux…
Août 07, 2015 @ 12:01:06
Oui, l’argent donne des moyens, c’est sûr. Mais je crois que nos projets peuvent se faire – même si plus lentement – sans une grosse rentrée d’argent d’un seul coup. Et le cheminement de ce qui a eu le temps d’évoluer avec nous est peut-être même plus intéressant, puisque nous avons eu le temps de nous y investir entièrement, d’y travailler dur et d’y mettre tout le coeur nécessaire. Je crois que les deux manières sont également intéressantes, rapidement ou lentement, et qu’il est intéressant de travailler à être bien aujourd’hui avant nos demains chimériques.
Merci pour ton petit mot ! A bientôt !
Août 08, 2015 @ 02:36:31
Ahlalala, j’en ferai des choses… Ou pas !
Etant donné que j’ai pas mal le temps ici mais que l’argent ne rentre pas, je le passe à me bouffer et à me molester intérieurement (pas la bonne solution, j’y travaille ^^).
Sinon, je crois que j’apprendrai à sculpter, je lirai beaucoup, j’apprendrai à coder un vrai beau blog, je voyagerai, bien-sûr…
Quel doux rêve !
Août 23, 2015 @ 12:05:03
Merci Alexandra ! Je crois qu’il faut cheminer à son rythme, l’important c’est d’avancer, pas d’aboutir dans la minute à tout ce que nous avons espéré pour nous mêmes. Avec mes premiers cours de yoga, les thématiques ont été d’abord la patience, ensuite la charge mise sur nos épaules et enfin le processus. Ne rien brusquer, vivre et accompagner le processus qui est tout aussi important sinon plus que l’arrivée. Cheminons !
A bientôt !
Links I Love #71Whatever Works
Août 11, 2015 @ 10:01:17
[…] […]
Août 16, 2015 @ 15:12:47
Ah le temps… moi j’ai trouvé une solution avec un double métier que je fais en free lance. Oui j’ai parfois de grosses journées mais soyons franches. Je n’ai pas 1 heure de transport par jour. Je fais ce que j’aime. J’aime (presque) tous mes clients. J’ai le temps d’aller voir des medecins (alternatifs dans la journée en semaine, je cowork avec des amies et je peux faire du sport tous les jours (et surtout pas le dimanche matin).
alors bien sûr j’en quasi pas de vraies vacances et des petits soucis de trésoreries, mais c’est un faible prix à payer pour une telle vie !!
Août 23, 2015 @ 11:44:20
Merci Olivia pour ton témoignage ! Cela demande beaucoup de courage de se donner les moyens de vivre la vie que l’on veut vivre et ton commentaire est de ceux qui donnent le sourire et l’envie d’oser ! Merci !
A bientôt !
Nov 13, 2015 @ 20:47:26
Oh que oui parmis tous les gros lots à gagner je ne voudrais ne recevoir que celui là, le temps, le temps de faire à mon rythme pour mieux m’écouter et m’exprimer, par mes mots, mes envies de créer, ou juste de regarder ; ce temps supplémentaire pour encore plus les aimer, eux que je voudrais encore plus souvent près de moi, chacun séparés comme tout le monde par nos vies obligées, milionnaire oui je le serais alors comme toi, riche du plus doux présent :) biz
Nov 19, 2015 @ 12:13:46
Merci Maryline <3 Chaque jour j'essaie de glisser un peu de tous ça entre les impératifs, si ça se trouve nous avons les moyens déjà d'être millionnaires, de temps en temps <3
A bientôt ! <3