Ce sport étrange de courir après les mots
Matin gris, aurore tombante, lumière rasante, j’ai ressorti les pages, les livres, les articles et les poésies. Le corps enseveli de mots et de plaids chauds, la laine à même la peau, j’ai relu les phrases, interrogé le sens, humé le ténu, dénoué la structure, relié les points à la recherche du petit écusson doré signant les univers. J’ai dénoué les mots jusqu’à laisser apparaître le fil presqu’imperceptible qui, tissé avec patience, douceur et attention, fait naître le fin maillage de sonorités – assonances, dissonances – de rythme et d’idées, pour remonter à la source, retrouver la racine, l’ancre du génie.
Toute petite déjà, je sondais nos plumes. À l’heure où nous apprenions à peine l’alphabet, je ne m’intéressais pas encore à la beauté sonore des mots qu’elles alignaient mais à la régularité légère des lettres qui en naissaient. Avec mon stylo à plume jaune décoré de fleurs blanches et roses, CE2, je réapprenais les yeux fixés sur mon modèle à le tenir le pouce par dessus tous les autres doigts, la main contorsionnée, la paume endolorie pour des journées nombreuses avant que du geste, je maîtrise tous les aspects. J’aimais la bizarrerie de cette singularité qui – nous deux dans la même classe – en perdait ses traits pour cinq années.
En sixième j’essayais – en vain ! – de laisser dériver un peu plus ma main. Elle avait perdu de son habilité plastique et devant l’écriture tremblotante de mes premiers essais ratés, les prémices des premières courbatures, j’abandonnais rapidement la pose pour les détails qui faisaient de chaque lettre de mon nouveau modèle – queue de cheval, stylo plume rouge à pois blancs – une originalité face aux codes inscrits de grande instance dans les manuels chapeautés par Ratus. Des A en lettres d’ordinateur abandonnant la boucle ronde et lisse pour devenir une cerise alambiquée, le manche d’une canne, un renflement sur le côté. Des j et des g dont on gomme la première partie de la boucle, l’arrondi, pour ne garder qu’un trait vertical et un arc jeté. La rébellion par l’écrit – les cris – l’entrée dans l’adolescence.
Mais cette fascination pour l’écrit est née bien plus tôt encore, avant les cahiers, les taches d’encre, les genoux écorchés, les premiers pas balbutiants dans la cour immense aux tilleuls si grands alors que pour en voir le sommet il fallait plier le cou et lever les yeux très fort. Chaque soir, depuis mon premier souvenir – et ce rituel, j’en suis sûre, devait avoir commencé bien avant – les dernières minutes de veille de la journée étaient peuplées des histoires rangées dans la grande bibliothèque blanche. Avec les chats bleus, les mouches qui s’appellent Patouche et les forêts peuplées d’animaux sachant parler, je découvrais le monde merveilleux des livres, de l’imaginaire et des voyages qui ne demandent pas d’essence. Bien vite les premières punitions, soirs de « on éteint la lumière » et de « on règlera nos comptes à la maison », me chuchotaient au creux d’oreille « par n’importe quel moyen, trouve à maîtriser la science de déchiffrer les mots ».
Les lettres à ma main domptées, les mots à mes yeux dénudés des voiles derrière lesquels ils s’étaient déjà bien trop longtemps cachés, je pouvais commencer à essayer. Combiner, associer, séparer, assembler, faire danser, sauter, rouler, jouer avec sens, genres, styles, mémoire. Ce que je ne savais pas alors que j’alignais les premiers mots des premières histoires c’est qu’en commençant à écrire, je commençais à chercher. La forme avait été affaire d’enfance, de personnalité qui se construit, de geste qui se mûri, écrire serait la recherche de toute une vie.
Par le petit matin gris, le corps plein de la chaleur de la laine, dans l’appartement résonne un bruit factice de pluie. Je lis, j’écris. Je cherche tout en sachant l’éphémère de mes réponses d’aujourd’hui.
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Fév 19, 2015 @ 09:19:06
C’est beau, cela m’a toute ému… Continue d’écrire, surtout ne t’arrêtes pas … ;)
Fév 22, 2015 @ 15:53:09
Oh merci ! Tes encouragements sont une petite bouffée d’air frais :) Merci merci :)
Fév 19, 2015 @ 09:53:37
Ce sport si bienfaisant… Les mots, que je les cueille dans les livres ou que je les essaime dans un fichier Word, sur le blog, dans un cahier ou une simple feuille blanche volante, je ne cesserai jamais de leur courir après. Ils sont un univers où l’on peut se réfugier, la promesse de mille vies, mille aventures et une création infinie.
Belle journée Célie, bises! <3
Fév 22, 2015 @ 15:52:04
Tout est dit <3
Fév 22, 2015 @ 13:32:18
Voilà un sport dont je ne me lasse jamais (le seul). Merci pour ce très beau billet, tes mots sont de la poésie, ça fait du bien de les lire, c’est doux, c’est moelleux, c’est si juste.
Bise
Fév 22, 2015 @ 15:51:39
Ah ah oui ! Voilà bien le seul sport dont je ne sèche pas les entraînements ! Merci pour ce petit mot si doux, si gentil, ça me touche beaucoup :)
Fév 29, 2016 @ 13:38:59
De passage sur ton blog, une découverte pour mois. J’ai atterri là « au hasard »et j’avais juste envie de te dire merci… Car dans ton écriture je retrouve l’origine de mon amour des mots. Un amour des mots qui a fait que j’ai choisi de faire des études là-dedans et qui finalement me dégouttent de tout ça, qui me font douter de tout, y compris de ma joie de lire, d’écrire… Qui me font plisser les yeux à chaque petit mot lu et chercher le compliqué dans chaque texte rencontré. Et pourtant il me reste quelques tout petit mois pour finir ces 5 années pour avoir mon diplôme en poche, alors je m’accroche. Mais lire n’était plus un plaisir, écrire un calvaire et ce matin, en te lisant j’ai souri…Et je me suis rappelé combien c’était doux les mots et qu’au fond il y a bien un sens à tout ce que je fais. Alors merci…
Mar 02, 2016 @ 11:23:34
Bonjour Maelle, ton petit mot tu l’imagines m’a énormément touchée. Je suis extrêmement heureuse que mes mots ait réussi ce petit prodige-là de te réconcilier avec ce que tu aimais tant avant que le trop plein ne t’en dégoûte. Je crois qu’aussi fort qu’on puisse aimer quelque chose – un domaine, un sujet – les études supérieures telles qu’elles sont ici conçues – centrées sur uniquement le sujet que l’on a choisi d’étudier, jusqu’à la nausée – ne peuvent que finir par nous dégoûter. Et c’est tout un chemin de retrouver nos marques dans nos amours après. Avec des armes pour les comprendre, les décortiquer, les apprécier d’avantage encore qui était à notre portée avant mais… cette avancée payée chèrement. Alors si cet ici peut rendre ce chemin un tout petit peu plus court pour toi et bien, j’ai tout gagné et j’en suis mille fois heureuse. Et j’aimerais énormément parler de littérature avec toi car moi, je n’ai pas choisi cette voie-là dans mes études alors je compose avec bien peu d’éléments, à l’instinct le plus souvent.
A très bientôt et bienvenue ici ! <3
Belle et douce journée à toi :)